XXII

Au fond de ses chaussures de curé, les pieds de Joseph remuaient à chaque pas la marinade qui imprégnait ses chaussettes. Un jus tiède. Voilà le souvenir qu’il garderait de la Rivière mystérieuse. Un bon bol d’eau à chaque pied, prisonnier du cuir étanche, et une envie d’arracher ses godasses sans plus attendre, de les jeter au loin, et la soutane avec, qui en séchant était devenue collante.

Il entamait les premiers mètres de la rue de Rivoli. Ce n’était pas le moment de se retrouver pieds nus. Il balança un grand coup dans la moitié d’un panier d’osier qui gisait sur le trottoir. Il y avait tellement longtemps qu’il n’avait pas fait cela. Il en avait besoin. Et c’était plutôt bon signe. Le signe d’une énergie qui reflue. Le coup fit un bruit d’éponge imbibée. Sous le cuir, une giclée lui rinça le pied.

Raymond. S’il avait su.

On se fait une idée des gens, on les écoute par politesse en pensant aux choses plus importantes. On les a déjà jugés au premier regard, alors à quoi bon s’intéresser à leurs histoires ? Voilà bien comment Joseph avait traité Raymond. Un cul-de-jatte qui pue l’absinthe, un ancien combattant pitoyable qui ressasse une vie sans intérêt. Raymond n’avait été qu’un fardeau dont Joseph s’était débarrassé à la première occasion. Ça lui apprendra. Voilà ce qui arrive quand on n’écoute pas son prochain. Lucille se moquerait bien de lui si elle le voyait. N’était-il pas ridicule à galoper ainsi vers l’Hôtel-Dieu ? À espérer qu’il arriverait à temps pour sauver l’infirme ?

Parce qu’il fallait sauver Raymond. Pas de Raymond, pas d’invocation. La loi de Lucrèce était sans appel. Et voilà que les Russes avaient débarqué avec leur machine et s’étaient mis en chasse du brave homme. Un rouage, Lucrèce avait bien choisi le terme. C’est tout ce que représentait le cul-de-jatte aux yeux des tueurs et des invocateurs de démons.

À cette heure de la nuit, Raymond devait être en train de dormir dans un box de l’Hôtel-Dieu. Comment les Russes pouvaient-ils le retrouver là-bas ? En fait, c’était si simple. Il suffisait de suivre le fil. La rue Galvani, le commissariat, le ministère. Raymond et lui avaient suffisamment semé l’esclandre pour que leur trace soit facile à remonter. Et puis, il y avait le fiacre. Les Russes dont parlait Lénine pointaient aux services secrets du tsar. Le genre de limiers qui savent interroger un cocher pour lui faire dire où il a déposé son infirme, une routine pour ces gens-là.

Joseph pressa le pas. Raymond était vraiment en danger. À l’Hôtel-Dieu, il l’emmènerait. Peu importe comment. Sur son dos s’il fallait. Et il le cacherait chez lui, rue Marguerite. Où d’autre ? Le temps de trouver une solution.

Et Papus ? Joseph frappa un trognon de pomme qui achevait de pourrir dans le caniveau. Puis il galopa sur quelques mètres, au milieu de la chaussée déserte. Papus ! Il se sentait si fort. Le cadavre de Papus n’avait aucune valeur pour le Khan. Il ne s’était pas méfié. Quel cadeau inestimable Joseph avait arraché au maître de la Horde ! Il l’attendait sans doute à la morgue. Alors il passerait le voir d’abord et irait chercher Raymond ensuite. Il aurait le temps. Sûrement. Il fallait qu’il ait le temps. Il avait tant à lui demander, tant de choses à comprendre enfin.

Quand la pluie commença à tomber, il traversait déjà la Seine.

 

À l’entrée de l’hôpital, le concierge de nuit se leva d’un bond.

« Joseph ! Cordieu ! T’es revenu ! »

Il y avait de la sincérité dans l’élan du brave homme. Un gros chien rustique qui ne juge pas les gens. Il avançait en traînant les savates et tendait à bout de bras son vieux tabouret en offrande. À ses sourcils inquiets, Joseph mesura immédiatement la ruine de son propre accoutrement.

« Je vais bien. Ne vous dérangez pas, monsieur… »

Il ne connaissait pas son nom. Cet homme qu’il croisait depuis des années et qui s’inquiétait pour lui.

« Je vais réveiller sœur Solange, continua le veilleur. Elle veut vous voir. Tout le monde était sens dessus dessous ici, vous savez ? Oh, comme elle sera heureuse de vous retrouver ! La pauvre se faisait du mauvais sang. On vous a cru mort !

— Ça va. Vous voyez bien que ça va. Laissez dormir sœur Solange. On reparlera de ça demain.

— Non, vous ne comprenez pas. »

Il avança vers lui avec le dos voûté et les yeux plissés du concierge qui entame le chapitre des bruits de couloir.

« Des policiers sont venus la voir.

— Des policiers ?

— Oui. Il paraît qu’ils disent des tas de choses sur vous. Mais nous, on sait que c’est pas vrai.

— Non, vous avez raison, trancha-t-il. Ce n’est pas vrai. » Il n’avait plus de temps à perdre avec cet homme. Il s’engagea dans le couloir sans se retourner.

 

À plusieurs mètres des marches et de la porte à double battant, il commença à respirer plus fort. D’instinct, son nez attendait l’odeur. Elle arriva comme une extase. Le vieux bois, le désinfectant et le parfum des morts. Il rentrait chez lui !

Dans l’obscurité, il fila droit sur la lampe à pétrole. Sa main la trouva à sa place, à côté du cahier. La lumière jaune dévoila les tables vides. Les dames du Bazar de l’Hôtel de Ville étaient parties. Seuls deux draps trahissaient la présence de nouveaux pensionnaires. Au fond, Marcel aussi avait disparu. Alors, ils l’avaient emmené à la fosse commune. Et Joseph n’avait pas été là pour l’empêcher. Qu’y aurait-il eu à empêcher de toute façon ?

Il faut savoir faire son deuil, même des morts qui parlent encore. Leur expérience se terminerait ainsi. Une vie de chien, une mort ratée.

Près de l’entrée, il avait laissé derrière lui, sans le voir, un brancard de fortune qu’on avait posé à terre. Un cadavre abandonné pour la nuit que l’on n’avait pas pris le temps d’installer sur une table. Une livraison récente qui ne méritait pas que l’on réveille les bonnes sœurs. Ça ne pouvait être que lui.

Il s’agenouilla et tira le drap qui recouvrait le corps.

Papus semblait dormir, comme tous les morts qui ont eu le bon goût de fermer les yeux avant le trépas. Un sale hématome lui dévorait la moitié du visage. Ses yeux étaient pochés. Son nez avait saigné. Avec une bonne dose de fond de teint et un coup d’éponge pour décrasser cette barbe collée par le sang, sœur Marie-Pierre en ferait un mort présentable.

On lui avait refermé le col en force et resserré la cravate. Ainsi engoncé, il semblait être mort de congestion. Une auréole rougeâtre s’était épanouie sur la chemise blanche ; la barbe taillée en carré avait fait mèche. Mais si l’on faisait abstraction des inévitables stigmates de la mort, on pouvait trouver l’homme plutôt élégant. Il portait un beau costume. Il s’était bien habillé pour aller mourir. La veste de lin lui allait mieux que la robe de satin noir de la rue Galvani.

« Monsieur Papus ? »

Joseph approcha le visage de l’oreille du gros homme. Il avait pris l’habitude de s’adresser aux cadavres comme on réveille une personne endormie. À première vue, les deux situations avaient des points communs. Et puis, ça l’aidait à trouver le ton juste.

De plus près, il aperçut la blessure. La blessure qui l’avait tué. Avec l’oreille, l’ensemble de la tempe avait reculé de deux bons centimètres laissant le long des cheveux une crevasse dans laquelle il aurait pu glisser le pouce. Un choc violent avait enfoncé toute cette partie du visage. Les os avaient sans doute tous cédé au même moment. La mâchoire, le côté du crâne. Cela expliquait l’hématome. Il n’avait pas vu l’entaille parce que quelqu’un lui avait lavé le visage. Au moment du décès, peut-être. Le nez avait coulé un peu plus tard, mais avant que le sang ne se fige pour de bon.

Joseph aimait imaginer la mort à partir d’une blessure. Il tenait ça de sœur Marie-Pierre, une vocation de médecin égarée à la morgue.

Le temps qu’il joue au légiste, Papus avait ouvert les yeux. Joseph prit sa place devant le regard étonné. Une expression incrédule, un esprit déboussolé qui cherche à comprendre. La réaction normale du cadavre que l’on réveille.

« Monsieur Papus. Vous êtes mort. N’ayez pas peur. »

C’était sa formule habituelle, une façon de mettre les choses au clair d’entrée de jeu. Cela évitait les prises de conscience douloureuses qui pouvaient vous gâcher une discussion.

« Monsieur Papus, reprit-il. Comme je suis content de vous voir. J’ai tellement de choses à vous demander. »

Il leva la tête. La porte, juste à côté de lui, bâillait encore sur l’obscurité du couloir. Au beau milieu de la nuit, il n’y avait que le silence dans les sous-sols de l’Hôtel-Dieu. Mais le concierge avait parlé de sœur Solange et ce n’était vraiment pas le moment qu’elle arrive. Joseph empoigna l’extrémité du brancard et le traîna entre les tables jusqu’au centre de la pièce. Papus pesait lourd. Ses yeux écarquillés semblaient indifférents au mouvement. Que pouvait-il en voir du fond de son trépas ?

Puis, Joseph l’abandonna un instant pour pousser un meuble devant la porte, un casier en fer bien assez massif pour bloquer sœur Solange et lui assurer un moment de tranquillité. Considérant sa barricade, il trouva son geste puéril mais il n’y avait pas d’autre moyen d’empêcher qu’on entre. Pas de clé, pas de verrou. Qu’aurait fait une serrure à la porte d’une morgue ? Peu importe ce qu’en penserait sœur Solange, rien ne comptait plus que la discussion qui l’attendait maintenant.

Il revint au cadavre qui n’avait pas refermé les yeux.

« Monsieur Papus, je suis Joseph Sterbing. Saint-Joseph-des-Morts. M’entendez-vous ? »

Il laissa le silence retomber. Depuis toutes ces années, il s’était bâti une sorte de protocole qu’il observait par routine. Avant toute chose, le cadavre doit comprendre qu’il peut encore communiquer. Le défunt vient parfois seulement de remarquer la disparition de son souffle. Les muscles de sa gorge et de sa langue sont morts avec lui. Dans un premier temps, il se croit muet. Alors il faut le laisser par lui-même découvrir d’autres biais, laisser monter en lui un besoin de parler assez puissant pour briser l’obstacle de ses tissus déjà raidis.

« Joseph ?

— Oui, monsieur ! Vous pouvez me parler. Je vous entends.

— Saint Joseph. Je suis content de te voir. »

Façon de s’exprimer ou le voyait-il vraiment ? La question n’avait aucune importance. Joseph voulait dépasser au plus vite l’étape inutile des présentations.

« Où êtes-vous, monsieur ? »

Sans cesser de lui parler, Joseph bondit jusqu’au bureau et attrapa son cahier pour reprendre sa place, avec un sourire pour s’excuser.

« Je suis mort, répondit Papus pendant ce temps.

— Oui, bien sûr. Mais où ? Est-ce encore le Tartare autour de vous ? »

Le ton de Papus changea alors instantanément. Du cadavre ordinaire qui se réveille à la morgue, du monsieur-tout-le-monde qui va pleurer sa vie perdue dans les bras de l’homme d’Église, Papus redevenait le professionnel de la mort qu’il avait été pendant toute son existence. Sa voix devint précise et factuelle. Alors, l’échange se mua en une entrevue de collègues, de deux spécialistes qui se reconnaissaient.

« Non, répondit-il. Le Tartare est déjà passé. Je suis au purgatoire, Joseph.

— Au purgatoire… »

Il le nota dans son cahier, sous la date du jour.

« Où êtes-vous mort ?

— À Montreuil, en début de matinée.

— Vous n’avez pas eu de chance. Vous avez fait partie des premiers. Ça s’est joué à quelques heures. Alors, que voyez-vous ?

— Rien. Absolument rien. En vérité, c’est effrayant, Joseph. Je suis mort. Je suis seul à présent.

— N’ayez pas peur, je suis là, avec vous. Le purgatoire n’est pas une fatalité. »

Il suivit du doigt sur son cahier les lignes d’un tableau qu’il avait tracé à la règle.

« Je peux vous assurer que si vous ne bougez pas d’où vous êtes, les prés de l’Asphodèle vous auront rejoint d’ici cent dix-sept jours. »

Il sourit, fier de la précision de son chiffre. S’il avait été mort, c’est ce qu’il aurait aimé qu’on lui dise.

« Ne parle pas à la légère de ces choses-là, petit, retourna Papus. Il s’agit de la mort des hommes et pas des horaires de train pour le Paradis. Quel âge as-tu, Joseph ?

— Vingt-quatre ans.

— Vis davantage et tu comprendras que la mort n’est pas une porte que l’on passe et que l’on referme derrière soi. C’est une distance, Joseph, un chemin continu que l’on commence le jour de notre naissance et qui nous mène à l’éternité, chacun à son allure. Le trépas n’est rien d’autre qu’une borne sur le côté de la route. J’espère bien que tes cent dix-sept jours ne me trouveront plus ici. J’aurai avancé et je ne serai plus là pour affronter l’ennui des prés de l’Asphodèle où, comme le dit Platon, les âmes traînent leur existence lugubre.

— Si vous n’êtes plus là, où serez-vous ?

— Plus loin. J’espère que je l’aurai mérité. À quoi servent les Enfers à ton avis ? À copier notre monde pour recommencer la même existence à l’infini ? Le chemin qui s’enroule autour du chrisme, le monogramme du Christ, est une spirale qui, au bout d’un tour, ne nous ramène pas à notre point de départ mais nous emporte plus loin. »

Joseph ne comprenait pas le sabir mais il saisissait l’essentiel. Un jour, il s’était demandé avec naïveté pourquoi les âmes qui s’accumulaient pourtant depuis la nuit des temps dans les Enfers n’encombraient pas ses plaines d’une foule compacte. Il s’était moqué de sa question d’idiot du village mais il l’avait gardée quand même, comme une sale écharde qui vous rend boiteux. Papus avait raison. Les âmes ne s’arrêtent pas là. Elles continuent. Plus loin. Au-delà.

Il nota l’idée, à la date du jour.

« Monsieur Papus, pourquoi avez-vous invoqué Baphomet ? »

Les yeux s’ouvrirent plus grand.

« Tu n’y vas pas par quatre chemins !

— Nous n’avons pas beaucoup de temps. Des événements se préparent et je peux encore les arrêter. Lucrèce, le Khan, ça vous dit quelque chose ? Peut-être que le salut de votre âme en dépend ? Qu’en pensez-vous ?

— C’est Baphomet qui m’a appelé. Je n’ai fait qu’obéir à son invitation.

— Vous n’étiez pas obligé.

— Oui, tu as raison. J’étais aveuglé par vingt ans d’attente, par mon université, par la vanité tout simplement. Et Lucrèce avec moi, nous nous sommes laissé abuser.

— Abuser ?

— Baphomet est un démon. Il triche. Il ment. Il venait tuer Bélial. C’était sa seule raison de m’appeler après vingt ans de silence.

— Qui est Bélial ?

— Bélial est le prince du Tartare. Ils sont peu nombreux à égaler son rang. Les quatre princes des Enfers. Cinq si l’on ajoute Gabriel.

— Où se trouve Bélial ?

— Bélial est parmi les vivants. C’est moi qui l’ai invité dans notre monde. Il y a vingt ans. Lui aussi m’a fait croire qu’il répondait à mon appel quand je ne faisais que lui obéir, depuis le début. Bélial est celui qui se fait appeler le Grand Khan. Un prince qui a abandonné son royaume céleste pour venir goûter les plaisirs de la Matière, ressentir la douleur, éprouver l’ivresse, jouir des femmes.

— Et…, hésita Joseph, et Lucrèce ?

— Lucrèce est sa fille. La fille du démon. La connais-tu ?

— Oui. Je l’ai aidée.

— Alors tu as goûté son venin. Lucrèce n’est-elle pas, pour moitié, une créature lunaire, fruit du mercure et de l’antimoine ? Une succube, Joseph. L’une de ces harpies de la mythologie. Aucun homme ne peut résister à son emprise. Tous ont succombé sous mes yeux. Moi-même, je lui ai tout offert. C’est elle qui commande à Baphomet. Comprends-tu ma faiblesse ? Voilà le fléau que j’ai déposé dans ses mains.

— Comment cela ? Comment commande-t-elle à Baphomet ?

— C’est la loi de l’invocation, Joseph. En entrant dans son monde, le démon doit se soumettre à celui qui l’a appelé, son maître à qui il devra obéissance. Mais les démons ne sont pas des esclaves dociles. Ils trichent, ils vous trompent et finissent toujours par échapper à la morale des hommes. Lucrèce a cru gagner un pouvoir surnaturel, elle n’a fait que déclencher la fin de son propre père.

— Mais comment le commande-t-elle ?

— Un démon répond à la première voix humaine qui s’adresse à lui. Le soir de l’invocation, j’ai laissé parler Lucrèce. Personne ne peut revenir en arrière désormais.

— Lucrèce veut utiliser Baphomet pour faire triompher la révolution socialiste.

— J’étais présent, Joseph, ce soir-là. Devant moi, elle lui a ordonné de tuer le tsar Nicolas II. Dans le métropolitain. Demain. Et Baphomet a fui. Elle ne sait même plus où il se trouve. Il assassinera le tsar, rien ne peut plus l’en empêcher. Mais avant cela, il tuera Bélial parce que c’est uniquement pour cela qu’il est descendu parmi les vivants. »

Joseph se releva et fit quelques pas en rond. Puis il alla soulever l’un des draps blancs, sur la table la plus proche. C’était l’homme qui réclamait l’aumône sur le perron de l’Hôtel-Dieu. Il l’avait toujours vu là. Sauf ce soir. D’une certaine manière, les sœurs avaient fini par le laisser entrer. Il ne sentait pas encore le cadavre, juste le clochard, la saleté et le vin.

Joseph avait besoin de cela pour réfléchir. Des images, des odeurs, comme des coups d’aiguille dans son cerveau. Il revint brusquement à Papus.

« Mais alors, si Bélial est un démon, qui le commande, lui ?

— Bonne question. Pourquoi te le cacherais-je ? Il faut bien faire mes premiers pas sur le chemin de la rédemption. J’ai appelé Bélial il y a vingt ans. J’étais un autre homme à l’époque. Et la France, un autre pays. Victoire Desnoyelles n’était même pas encore député. Une disciple ambitieuse qui croyait aux théories naissantes du jeune Papus. Elle m’a offert sa villa de Neuilly, financé ma machine. Je lui devais bien un minimum de reconnaissance. Le grand soir, elle s’est arrangée pour être là, au bon endroit, au bon moment. Je l’ai laissée parler la première à mon démon. Et depuis vingt ans, elle commande au monstre.

— La présidente ?

— Elle doit à Bélial son pouvoir, sa fortune et la disparition fortuite de ses concurrents essentiels. Il lui doit son empire, sa Horde, sa vie de roi parmi les hommes. Une symbiose parasitaire. Une alliance tumorale.

— Le Grand Khan est donc aux ordres du gouvernement de la France ?

— Recto, verso. L’ordre et le désordre. Mais la hiérarchie n’est pas si claire. Victoire n’a pas compris tout de suite à qui elle avait affaire. Le seigneur des incubes ! Elle n’aurait pas dû se croire à l’abri de son charme. Cela a donné Lucrèce, le fil à la patte de la présidente. Une sorte d’assurance-tranquillité pour la Horde d’Or.

— Lucrèce est la fille de la présidente… »

Joseph repartit faire un tour. Il alla soulever le deuxième drap. Une dame entre deux âges avec d’horribles traces brunes en travers du cou. Un meurtre. Cela n’arrivait pas si souvent. Ça leur vaudrait encore une visite de la police, à moins qu’ils ne soient déjà passés. Pour Joseph, les victimes de crimes étaient toujours des patients délicats. Elles entament leur éternité avec le fardeau de la haine, du désir de vengeance, de la culpabilité parfois et un pardon difficile à avaler dont elles ne pourront pas faire l’impasse. Joseph aurait aimé lui parler. Il avait toujours préféré les femmes. Le souvenir de sa mère sans doute.

Il retourna s’agenouiller à côté de Papus.

« Et Éloïs, comment peut-il revenir ?

— Éloïs ? Qui est-ce ?

— Mon ami. Le fonctionnaire qui vous a menacé d’une arme le soir de l’invocation. Votre machine l’a absorbé sous mes yeux.

— Je me souviens. Ton ami a pris la place de Baphomet au royaume du Tartare. Un vivant pour un démon, c’est la règle.

— Oui, je sais. Lucrèce m’a tout expliqué. Mais comment puis-je l’aider à rentrer chez lui ?

— Rien n’est perdu. Il n’est pas mort. Et il reviendra parmi nous, le jour où Baphomet sera renvoyé vers le Tartare.

— Comment ?

— Quand Baphomet mourra. C’est le seul moyen. Mais il mourra. Il est venu chercher Bélial, il ne restera pas chez les vivants.

— Mais… et l’autre homme qui a basculé avec Éloïs sur la machine ?

— David.

— Redescendra-t-il aussi parmi nous ?

— Je ne sais pas. Peut-être que les deux reviendront. Je l’espère. »

 

Les coups à la porte surprirent Joseph.

« Joseph, vous êtes là ? C’est sœur Solange. Monsieur Grumier m’a dit que vous étiez arrivé. »

D’un tour de tête, Joseph parcourut la pièce. Les tables, les civières, les seaux empilés, l’armoire aux draps. Que cherchait-il ? Une cachette ? Depuis qu’il était entré dans cette morgue, il s’était senti coupable. L’évasion du commissariat, l’agression du ministre, la fusillade, le Khan, la révolution, ce n’était pas la vie d’un autre qu’il avait vécue, c’était bien un nouveau costume qu’il avait endossé et qui faisait de lui un étranger en ces lieux. Sœur Solange ne le reconnaîtrait pas comme il ne se reconnaissait pas lui-même, c’est pour cela qu’il avait bloqué cette porte.

« Quelque chose gêne l’ouverture, aidez-moi, messieurs. »

Messieurs. Sœur Solange n’était pas venue seule. À cette heure de la nuit, cela n’annonçait rien de bon. Des policiers, sans doute, détachés à l’hôpital pour attendre son retour. Était-il donc devenu si dangereux ?

Le battant de la porte cogna le dos du meuble. Une fois. Deux fois. Plus fort. Joseph ne disposait que de quelques dizaines de secondes. Au mieux. Il s’accrocha aux épaules du cadavre.

« Monsieur Papus, monsieur Papus, répondez-moi ! Je ne pourrai plus vous parler longtemps. Vous devez me dire qui sont les implexes.

— Les implexes ?

— Je suis implexe, monsieur. Je dois savoir. Je vous en prie, nous n’avons plus de temps.

— La mort est une distance, Joseph, reprit le cadavre comme s’il rêvait. Les implexes ne sont que les âmes de défunts qui, à la moitié de la route, ont rebroussé chemin, retenus par un espoir, un désir, un rêve. Une Idée qui valait qu’ils restent encore. Raymond ne voulait pas mourir, il voulait oublier ; David voulait vivre un peu plus pour devenir cet enfant à la beauté idéale que désirait sa mère. Et comme ils ne sont revenus à la vie que par la force de cette Idée, l’idée est devenue le moteur de leur vie, leur énergie, leur pouvoir. Alors, la mémoire de Raymond s’est détournée du passé et le visage de David a essayé maladroitement de reproduire la beauté. Moi-même, sur mon lit d’hôpital, je rêvais d’anges et de démons. Et toi, Joseph, quelle est la force qui t’a retenu ?

— Je voulais parler à ma mère…, lâcha Joseph, les yeux dans le vague.

— Platon avait raison, conclut Papus. L’homme n’aspire qu’à se fondre en une Idée. C’est là sa seule source vitale. »

Dans un raclement, la porte fit glisser le meuble sur le carrelage. Suffisamment pour qu’une main s’engage et saisisse le bord du battant ; une main d’homme, de gros doigts manucurés qui n’avaient rien à voir avec ceux d’une bonne sœur.

« Enfin Joseph, que se passe-t-il ? insistait sœur Solange. Que faites-vous derrière cette porte ? Tout ceci est ridicule, laissez-nous entrer.

— Monsieur Sterbing, coupa une voix d’homme, nous avons juste quelques questions à vous poser. »

La voix raclait sur les consonnes et remontait étrangement à la fin de chaque mot. Des Russes ! Les policiers du tsar l’avaient donc précédé à l’Hôtel-Dieu et avaient trouvé Raymond avant lui. Il n’y comprenait plus rien, juste que le cul-de-jatte n’aurait décidément jamais la paix et qu’il n’avait pas réussi à le protéger. Qu’allaient-ils lui faire ? Quel jeu jouait ce tsar dont il devait sauver la vie ? Et d’ailleurs, cet autocrate ravisseur d’infirmes valait-il qu’on le sauve ?

Les coups contre la porte redoublèrent. Joseph se retourna sur le cadavre.

« Monsieur Papus, le tsar est à Paris, Raspoutine est avec lui. Ils ont capturé Raymond. Que veulent-ils ?

— Raspoutine ! »

Joseph crut le voir sursauter sur son brancard. Ces yeux vivants sur ce visage mort exprimaient la haine, la fureur, le dégoût aussi.

« Raspoutine, continua-t-il, est un sorcier. Un vulgaire astrologue, un paysan luxurieux qui a profité de la détresse du couple impérial pour s’offrir une place en or derrière le trône.

— A-t-il les mêmes pouvoirs que vous ?

— Les démons lui parlent.

— Peut-il invoquer ?

— Oui. Il a volé le secret de ma machine et, aujourd’hui, il a volé Raymond. Dieu sait comment un tel fou peut utiliser les forces du pandémonium ? Raspoutine veut jeter les meilleurs généraux du Malin dans le chaudron de l’Europe, dans le jeu de la politique et de la guerre. Il faut l’arrêter, Joseph !

— Et vous, Papus, qu’avez-vous fait d’autre en appelant Bélial et Baphomet ? Victoire Desnoyelles vaut-elle mieux que Nicolas ? »

Papus ne répondit pas. Derrière Joseph, le casier de fer avait encore glissé. C’était fini maintenant.

« Vous avez fabriqué une présidente comme un monstrueux golem d’argile, continua-t-il en serrant les dents. Que vaut cette femme qui gouverne avec la pègre et les assassins ? Cette femme qui s’est inventé un ministère pour ficher et pister les implexes ?

— Elle nous craint, Joseph. Elle nous convoite et elle nous craint. Quel aveugle j’ai été… »

Derrière, dans un fracas de ferraillerie, les Russes renversèrent le meuble de fer. Avec calme, Joseph se leva pour les voir entrer. C’était fini.

 

Il y avait deux hommes en costume de fonctionnaire et chapeau melon. Deux caricatures d’employés de l’État qui corrigeaient le pli de leurs vestes en enjambant le casier. Derrière, sœur Solange avançait sans oser.

« Mon Dieu, Joseph, je suis désolée, s’apitoyait-elle. Ils m’ont menacée. Je n’ai rien pu faire. »

De l’entrée, elle tendait sa lampe vers le petit groupe. La lumière hésitante, l’éclairant du dessus, accentuait sa détresse de mère qui a trahi son fils.

« Ne craignez rien, monsieur Sterbing, attaqua le Russe d’une voix de stentor qui voulait dire tout le contraire. Répondez à nos questions et tout se passera bien. »

En bruit de fond, la supérieure psalmodiait comme un chapelet, sans lui parler vraiment. « Mon Dieu, Joseph, que vous est-il arrivé ? Votre visage, vos vêtements. Qui vous a fait cela, Joseph ? Jusqu’où vous êtes-vous perdu ? Ne lui faites pas de mal, messieurs. S’il vous plaît.

— Ne me touchez pas, commença Joseph en tendant les bras vers eux. Je ne suis pas armé. Je ne suis pas dangereux. Je sais ce qui vous amène ici. Je vous suivrai si vous le désirez. Je vous demande juste d’épargner sœur Solange et de me laisser m’occuper moi-même de Raymond. Il est infirme, il a déjà trop souffert. Je le porterai seul, s’il le faut. J’espère juste que vous ne lui avez causé aucun mal. »

Comme il méprisait ces hommes ! Les molosses du tsar. Des chiens et rien d’autre. Il pensa à celui qui avait blessé Lucrèce à la villa. Des bêtes dangereuses. Après tout, il espérait bien l’avoir tué.

Le Russe interrogea son collègue du regard.

« Alors, il est ici ! s’écria-t-il avec son accent d’opérette.

— Mon Dieu », ajouta sœur Solange de derrière eux d’une voix haut perchée qu’elle poussait avec hâte. « Je n’avais rien dit, Joseph ! Ils ne savaient pas ! »

Le timbre d’alouette de sœur Solange le saisit comme une grande gifle. La bonne correction qu’il méritait, celle que les sales gosses attendent pour retrouver le bon chemin. Et le timbre haut perché qui résonnait dans son crâne lui criait que tout était sa faute, qu’à force de vouloir voler seul il avait provoqué la chute de tous les siens et que, maintenant, il venait de trahir dans son aveuglement le dernier qu’il n’avait pas perdu. Et avec les larmes de cette mère adoptive, les mots de sa propre mère hurlèrent à ses oreilles.

Pense aux tiens et aime-les comme ils t’aiment. Pour les autres et pour toi-même. N’aie pas peur. Tu es libre !

Alors Joseph se précipita sur les deux hommes avant qu’ils aient pu saisir leurs armes. Et de toutes ses forces, il les frappa. Des poings, des genoux, de la tête, il les frappa encore. Étourdi par le cri continu de sœur Solange, il encaissa les coups pour les rendre au centuple. La violence le purifiait comme s’il se frappait lui-même. Il ne vaincrait pas ces hommes mais il les frapperait et frapperait encore jusqu’au dernier moment.

Puis, comme une voix miraculeuse et céleste, il entendit au-delà du tumulte l’appel de sœur Solange restée dans le cadre de la porte.

« Je l’ai installé dans le lit de Marcel. Ils ne savent pas où il est ! »

Il comprit instantanément. Le quatrième étage, le pavillon des incurables. Il connaissait l’Hôtel-Dieu comme sa propre maison. Ils n’étaient pas allés le chercher là-bas. Il y serait avant eux. S’il pouvait leur échapper…

Il se débattit comme un forcené, s’arrachant à leur étreinte, essuyant les derniers coups sans répondre. Plus rien ne comptait d’autre que d’atteindre la porte et disparaître dans les ténèbres du couloir.

Il trébucha sur le casier. Sœur Solange s’interposa.

« Messieurs ! Vous êtes dans la maison de Dieu. Rangez vos armes ! Cessez de vous battre ! »

À quatre pattes, titubant comme un chien boiteux, Joseph atteint les trois marches et s’élança à l’aveugle dans le couloir, priant pour qu’aucun des policiers russes n’ose lever la main sur une femme de Dieu. La religieuse lui avait offert quelques secondes de répit, il fallait qu’il coure. Malgré la douleur à son côté, malgré ses yeux tuméfiés qu’il ne pouvait qu’à peine ouvrir, malgré sa cheville qui lui arrachait une plainte à chaque pas.

Quand Joseph déboucha dans la cour, il n’entendait plus les Russes derrière lui. Il faisait nuit noire. Il savait exactement où aller. Il ne ralentit pas. Il passa les colonnes, s’engouffra dans le bâtiment en face. Le long couloir, la file des civières vides prêtes au défilé des drames du lendemain. À droite, l’escalier. Un étage, puis deux, puis trois. Puis les incurables. Il ouvrit la porte du dortoir sans ménagement. Ce qu’il avait confondu avec de la sueur prit un goût de sang en arrivant à sa bouche. Il avait l’allure d’un mourant qui retournait se coucher.

Dans la grande salle sans fond, les box s’alignaient comme autant de petits univers cubiques, blancs et stériles, de boîtes à malheur renfermant chacune leur vie d’infortune.

Joseph égrena la rangée sans avoir besoin de compter. Il le voyait déjà, le lit qui l’attendait. Celui qu’il avait visité tous les jours du temps de Marcel. Le lit des récits d’aventures, des histoires de gosses. Même le râle des insomniaques, qui ne s’accordaient pas de pause dans leur journée de souffrance, sonnait à ses oreilles comme un bon souvenir.

Il écarta le rideau et le referma derrière lui, une fois entré dans la boîte. Raymond était là. Sa tête de loup de mer bien coiffée, endormie sur un oreiller fraîchement repassé. Son tronc de cul-de-jatte sous les draps bien bordés, comme un corps d’enfant étendu jusqu’à la moitié du lit.

« Raymond, réveille-toi ! » chuchota Joseph en lui secouant l’épaule comme il avait fait avec Papus.

Une goutte de son sang tomba de son front sur le drap blanc.

« Raymond, je t’en prie ! Ils vont arriver. Nous devons partir ! »

Déjà, il glissait une main sous la tête de l’infirme et de l’autre explorait dessous les draps à la recherche d’une prise. Aurait-il seulement la force de le sortir de l’hôpital ?

« Hein ? » grogna Raymond en secouant la tête pour se libérer des mains de Joseph.

Puis il ouvrit les yeux, le reconnaissant à peine dans la lumière des lamperons de service.

« Joseph ! s’écria-t-il avec un large sourire. Tu t’es encore battu, on dirait ! Comme je suis content de te revoir ! Alors, c’est fini ? J’ai eu une de ces trouilles ! J’ai bien cru que les Russes allaient me tuer.

— Non, le supplia Joseph. Rien n’est fini. Rien n’a encore commencé, Raymond ! Nous devons y aller.

— Allons, fils, répondit-il en lui attrapant les épaules. Tu m’as sauvé la vie ! Qui aurait pu croire que tu avais ça en toi ! Toi, le gentil curé ! David me l’a toujours dit.

— Tais-toi, Raymond, je t’en prie. Et aide-moi à t’attraper correctement. Nous devons fuir. Tu n’es plus en sécurité ici. »

Raymond rit en toussant à moitié.

« Alors, tu as encore peur des Russes, c’est ça ? Tu crois qu’ils n’ont pas compris la leçon ? Tu crois qu’ils vont débarquer à l’hôpital et enlever ton brave Raymond comme l’autre fois ?

— Quelle autre fois, Raymond ?

— Eh ben, tu te souviens ? rit-il encore. T’avais roulé sous mon lit comme un godelureau qui se fait surprendre par le cocu ! »

Joseph écarquilla des yeux épouvantés. Parce qu’il ne voulait pas comprendre l’horreur de ce que lui disait son ami. L’horreur annoncée de sa propre trahison.

 

Et dans le silence geignard du dortoir des mourants éclata le tintamarre. Le fou rire de Raymond, la porte qui claque, le pas lourd des souliers vernis de la police russe, les supplications, au loin, de sœur Solange. Et Joseph qui, dans un réflexe, se jette au sol et roule sous le lit.

 

De l’enlèvement de son ami, Joseph ne vit que le dessous d’un sommier de ressorts. Il entendit les protestations de Raymond, l’homme à la mémoire à l’envers qui l’avait déjà oublié. Les menaces des Russes. Les pleurs de sœur Solange.

Il n’était qu’un misérable, terré sous ce lit comme un chien mal dressé qui ne défend même plus les siens. Raymond ne lui avait-il pas dit qu’il lui sauverait la vie ? S’il s’en souvenait, c’est que cela arriverait. C’était comme si cette certitude qu’un autre Joseph serait courageux pour lui, demain, lui ôtait pour le présent tout élan d’héroïsme.

Il entendit le tumulte s’éloigner avec le soulagement des lâches qui se disent qu’ils n’auraient rien pu faire. Il tâcha de ne pas penser à sœur Solange. De ne pas penser à sa mère. Demain, il serait un héros. Il sauverait le tsar, il sauverait l’Europe. Il sauverait Raymond. Il sauverait Éloïs. Il retrouverait le sourire de Lucille.

Et il s’endormit comme cela, recroquevillé sous un lit d’hôpital, indifférent au filet de sang qui, coulant de son front, baignait sa barbe naissante.

Les Démons de Paris
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